Depuis 2011, je mène une double activité d’expertise/gestion de la recherche (entre autre, membre de la section 29 du CoNRS et du Haut Conseil des Biotechnologie (HCB)) et de production de connaissances (essentiellement sur la biologie évolutive de la pyrale du maïs, Ostrinia nubilalis et sur la résistance aux pesticides). Ces deux activités se complètent partiellement puisque la pyrale du maïs est l’un des ravageurs cibles des maïs transgéniques – d’où un lien fort entre les recherches que j’anime et les expertises menées au sein du HCB.
Les activités de recherche que je mène et/ou auxquelles je participe portent en premier lieu sur l’adaptation des insectes à leurs hôtes et, pour les ravageurs des cultures, aux méthodes de lutte destinées à les contrôler. Mon modèle biologique principal est la pyrale du maïs, Ostrinia nubilalis. Je me suis toutefois impliqué dans des recherches sur d’autres organismes et notamment deux guêpes parasitoïdes (Macrocentrus cingulum, un Braconide, et Hyposoter didymator, un Ichneumonide). Nous souhaitions voir si ces deux espèces, qualifiées de généralistes, ne sont pas des complexes de taxa génétiquement différenciés et relativement spécialisés
1. Différenciation et spécialisation des ravageurs du genre Ostrinia
Les insectes phytophages peuvent étendre leur niche écologique via la colonisation de nouvelles plantes hôtes. Cette colonisation peut faire suite à l’introduction d’un ravageur dans une nouvelle aire géographique ou lors de la mise en place d’une nouvelle culture dans son aire d’origine. Les caractéristiques de la nouvelle plante hôte peuvent entraîner la sélection de traits d’histoire de vie assurant une préférence spécifique du ravageur et déboucher ainsi sur des événements de spéciation écologique.
Mon principal modèle d’étude est le genre Ostrinia. J’ai commencé à m’intéresser aux espèces appartenant à ce genre lors de mon recrutement à l’Inra en 1997. Le but à cette époque était de répondre à l’une des préoccupations soulevées par la mise en cultures des premiers maïs transgéniques destinés à contrôler la pyrale du maïs O. nubilalis. Mes premiers travaux sur ce ravageur furent d’estimer les risques d’apparition de résistances aux toxines produites par les maïs Bt. Suite au retrait des cultures génétiquement modifiées en France, mes travaux se sont progressivement centrés sur la spécialisation des taxa du genre Ostrinia. Nous avions en effet montré, lors de nos premières études, que les populations se nourrissant sur d’autres plantes que le maïs (armoise, houblon, chanvre) n’appartenaient pas à O. nubilalis, mais à une espèce jumelle, O. scapulalis.
Au cours des 5 dernières années, nous avons eu pour objectif de mieux comprendre cette spécialisation à la plante hôte et d’élargir nos recherches à une troisième espèce du genre Ostrinia : O. furnacalis. Les populations de cette espèce infestent le maïs en Asie et en Océanie alors que les populations d’O.nubilalis sont restreintes à l’Europe et aux Etats-Unis où ce ravageur a été accidentellement introduit au début du 20ième siècle. Nous pouvions ainsi profiter de deux événements de spécialisation sur maïs, l’un ayant conduit à l’émergence d’O. nubilalis en Europe, l’autre à l’apparition d’O. furnacalis en Asie. Ces deux événements sont certainement indépendants, car le maïs fut introduit à la fin du 15ième siècle, de manière quasi concomitante, en Europe et en Asie. Les populations d’O. nubilalis et d’O. furnacalis se sont certainement spécialisées après l’introduction du maïs sur ces deux continents. Ces deux espèces de pyrale constituent ainsi un « réplicat » évolutif particulièrement intéressant pour détecter des convergences dans l’isolement reproducteur et dans la spécialisation alimentaire.
Plus concrètement, les résultats sur cet axe de recherche et ce modèle d’étude entre 2011 et 2015 sont les suivants :
Différenciation génétique au sein du genre Ostrinia
L’une de nos études a eu pour objectif de voir si les résultats préalablement obtenus en France étaient singuliers ou représentatif d’un patron plus général. Cette dernière hypothèse était la bonne. A l’aide de marqueurs microsatellites, nous avons en effet montré que la différenciation génétique des populations d’Ostrinia en fonction de la plante hôte s’étend à toute l’Europe. Dans cette aire géographique, les populations se nourrissant sur le maïs appartiennent à O. nubilalis tandis que les populations infestant l’armoise, le houblon et le cannabis appartiennent à O. scapulalis. Fait intéressant, l’un des loci microsatellites typés dans cette étude présentait un niveau de différenciation ~ 10 fois plus élevé que les autres. Ce microsatellite pourrait donc être lié à un gène impliqué dans l'adaptation à la plante hôte de l’une ou l’autre espèce et/ou dans isolement reproducteur entre ces deux espèces.
Plus récemment, nous avons génotypé les mêmes loci microsatellites – ainsi que des loci mitochondriaux – de larves d'Ostrinia collectées sur le maïs et plusieurs dicotylédones (notamment l’armoise et le houblon) à travers la Chine et la Sibérie orientale. Nous n'avons trouvé, sur cette nouvelle aire géographique, que deux taxa génétiquement distincts : l'un sur le maïs, appartenant à O. furnacalis, la pyrale du maïs asiatique, l’autre sur les dicotylédones. Ce second taxa regroupe les individus appartenant à O. scapulalis. Lors de cette étude, nous avons également trouvé des "migrants" et des "hybrides" sur les deux types de plante hôte. Les hybrides suggèrent que l'isolement reproducteur entre O. furnacalis et O. scapulalis (comme nous l'avions préalablement montré entre O. nubilalis et O. scapulalis) est incomplet. La présence de migrants – i.e. la présence de larves d’O. furnacalis sur des dicotylédones et de larves de d’O. scapulalis sur le maïs – indiquent, quant à eux, que le choix de la plante par les femelles, lors de la ponte, reste imparfait.
Les typages génétique suggèrent également un flux génique asymétrique d’O. furnacalis vers O. scapulalis, deux espèces qui pourraient finalement être considérées comme jumelles. Nous avons d’ailleurs réussi à croiser et rétrocroiser avec succès des adultes d'O. furnacalis et d'O. scapulalis. Les descendants issus de ces accouplements « inter-spécifiques » étaient aussi viables et fertiles que les descendants intra-spécifiques suggérant une absence de barrière post-zygotique entre ces deux espèces. Cet isolement incomplet et apparemment pré-zygotique est compatible avec un scénario de spéciation écologique, un scénario que nous avions également avancé pour la séparation entre O. nubilalis et O. scapulalis.
Enfin, au Xinjiang, à l'Ouest de la Chine, nous avons trouvé des champs de maïs infestés par des larves d'O. nubilalis et d'O. furnacalis. La distribution géographique de ces deux ravageurs du maïs se recoupe donc en partie et débouche sur une parfaite sympatrie dans cette province chinoise (plus exactement dans une vallées de l’Himalaya suffisamment basse en altitude pour assurer un « corridor » entre le Kazakhstan et la Chine, et donc entre l’Europe et l’Asie). Une « cohabitation » … sans amour. En tout cas sans flux génique, aucun hybride et aucune évidence d’introgression n’ayant pu être détectés.
Publications : Frolov et al. 2012 Heredity108: 147-156 et Bourguet et al. 2014 Molecular Ecology. 23: 325-342.
Isolement reproducteur, adaptation et spécialisation
Pour comparer l'architecture génétique de l’adaptation au maïs d’O. furnacalis et d’O. nubilalis, nous avons effectué un balayage génomique avec 684 marqueurs AFLP. Ces marqueurs ont été typés à partir d’individus issus de 12 populations appartenant aux 3 espèces de pyrale que nous étudions actuellement : O. nubilalis, O. furnacalis et O. scapulalis. Parmi ces AFLP, nous avons détecté 2 (lors de la comparaison O. nubilalis vs. O. scapulalis en France) et 9 (O. furnacalis vs. O. scapulalis en Chine) loci présentant des niveaux de différenciation significativement supérieurs au niveau de différenciation moyen. Ces AFLP dit « outliers » étaient différents dans les deux paires d’espèce et ne présentaient aucune preuve de déséquilibre de liaison entre eux. Ces résultats suggèrent que l'adaptation ou la préadaptation au maïs d’O. furnacalis en Asie et d’O. nubilalis en Europe repose sur une architecture génétique différente. Par ailleurs, nous avons cartographié des QTL de deux traits impliqués dans l'isolement reproducteur entre O. nubilalis et O. scapulalis: l’homogamie à courte distance et la production, par les femelles, de phéromones d’attraction à longue distance.
Publications : Alexandre et al. 2013 PLoS One8: e69211 et Streiff et al. 2014 Heredity. 112 : 370-381.
Les pressions de sélection d’origine anthropique peuvent parfois être suffisamment importantes pour engendrer une réponse adaptative très rapide. Contrairement aux autres plantes hôtes du genre Ostrinia, le maïs est régulièrement fauché lors de la récolte et les larves se trouvant au-dessus de la ligne de fauche ont peu de chance de survivre. Une géotaxie (comportement de locomotion dirigé par la gravité) positive (c’est à dire dune locomotion dirigée vers le sol) conférerait dans ce cas particulier, un avantage sélectif évident permettant aux individus de ne pas être tués lors du passage des engins agricoles. Testant cette hypothèse, nous avions découvert que les larves d’O. nubilalis ont, comme attendu, une géotaxie supérieure à celles d’O. scapulalis (Calcagno et al. 2007 Proc R Soc Lond B 277, 2703-2709). Pour répéter et étendre cette étude à la pyrale du maïs asiatique, nous avons échantillonné huit populations de pyrale appartenant à O. nubilalis, O. furnacalis et O. scapulalis en France et en Chine en 2014. Les larves de ces populations furent introduites dans des colonnes en plastique mimant une tige végétale. Dans ces colonnes, les larves d’O. nubilalis et d’O. furnacalis, les deux ravageurs du maïs, se trouvaient en moyenne significativement plus bas que les larves d’O. scapulalis issue de l’armoise. Etant donné l’intensité de la pression de sélection liée à la fauche du maïs, il est probable que ce soit cette dernière qui ait favorisé l’évolution de cette géotaxie positive, de manière indépendante, chez les ravageurs du maïs Européen et Asiatique.
Publication : Mitoyen et al. En préparation.
Evolution des communautés de parasitoïdes
Dans un travail un peu annexe, mais portant également sur le genre Ostrinia, nous avons comparé les communautés de parasitoïdes larvaires d’O. nubilalis et d’O. scapulalis. Nous avions en effet la possibilité de comparer un important jeu de données acquis par l’ANSES entre 2001 et 2005 (environ 400 parasitoïdes issus de 42,000 larves de pyrales) avec celui, titanesque, engrengé par des chercheurs de l’USDA entre les années 1920 et 1930 en Europe et notamment en France (plus d’1 million de parasitoïdes provenant de 23 milllions de larves de pyrales). L'intervalle de 80 ans entre les deux jeux de données est associé à une diminution du taux de parasitisme, notamment par les hyménoptères. Cette réduction du parasitisme s’est accompagnée de changements spécifiques. Toutefois, la disparition de certaines espèces de parasitoïdes ayant été compensée par l’apparition de nouvelles espèces, la richesse spécifique est restée stable entre les années 1920 et le début du 21ième siècle. Enfin, la comparaison des deux jeux de données suggère que la diminution du taux de parasitisme d’O. nubilalis est liée à son expansion vers l'ouest et le nord de la France au cours du 20ième siècle. Cette expansion ne s’étant pas traduite par la capture de nouveaux parasites, O. nubilalis a profité d’un phénomène de relâche parasitaire (ou d’un « enemy free space ») qui a pu favoriser sa divergence avec son espèce jumelle O. scapulalis.
Publication : Folcher et al. (2011) PLoS One. 6(9), e25374.
2. Pesticides : coûts économiques, évolution et coût de la résistance.
Mes recherches sur la résistance des populations d’O. nubilalis aux toxines de Bacillus thuringiensis (Bt) produites par les maïs transgéniques sont dans la continuité des travaux que j’avais menés sur l’évolution de la résistance aux insecticides sur le moustique Culex pipiens. Au fil des années, j’ai continué à travailler sur cette thématique des pesticides, en diversifiant les approches. Avec le réseau REX, nous avons poursuivi nos comparaisons de l’évolution et de la gestion de la résistance aux différents pesticides. Suite à une sollicitation d’un chercheur Chinois, j’ai également eu le plaisir de me replonger jusqu’au cou, dans le coût, en terme de valeur sélective, associé aux gènes de résistance. Enfin, avec Thomas Guillemaud, nous avons réalisé un travail de synthèse sur les coûts, cette fois économiques, de l’utilisation des pesticides. Je donne ci-dessous quelques détails sur ces trois thèmes recherches tournant autour des pesticides.
Evolution de la résistance aux pesticides
Avec Thomas Guillemaud, Corine Vacher, Anne-Sophie Walker, François Delmotte, Pierre Franck, et Xavier Reboud, nous avons constitué un groupe de travail sur l’évolution de la résistance aux pesticides (Consortium REX pour Résistances aux Xénobiotiques) en octobre 2003. Nous avions fait le constat suivant : l’apparition et le développement de la résistance aux pesticides, qu’il s’agisse d’insecticides, de fongicides, d’herbicides, d’antibiotiques, d’antiviraux etc., obéissent aux mêmes lois évolutives (mutation, dérive, sélection, migration et recombinaison). Ce constat était assez trivial mais, bizarrement, assez peu repris dans la littérature. Dès lors, nous avons voulu vérifier que cette unité de cadre scientifique se reflétait dans les travaux publiés sur les différents types de résistance. Pour cela, nous avons débuté une série d’analyses concernant la modélisation de l’évolution de la résistance aux pesticides. La première analyse concernait la structure de la communauté des modélisateurs de l’évolution de la résistance (Consortium REX. 2007. PLoS One12: e1275). Nous avions montré que les écologistes et agronomes d’un côté et les médecins de l’autre ne sont jamais associés aux mêmes publications, publient leurs résultats dans des journaux différents, citent une littérature différente, et possèdent des références « pivots » qui sont largement ignorées par l’autre communauté de chercheurs. Poursuivant cette première étude, nous avons effectué une analyse visant à décrire la disparité des modèles d’évolution considérés et l’influence de l’isolement des communautés scientifiques sur ces différences. Les résultats de ce travail suggèrent qu’elles sont principalement dues aux types de pesticides considérés, que certaines stratégies ne sont jamais considérées pour certains pesticides et que la division observée a très probablement constitué un obstacle important aux progrès de la recherche dans ce domaine (Consortium REX 2010. Evol Appl3: 375–390).
Au cours de cette dernière période, nous avons poursuivi nos analyses comparative afin d’identifier les stratégies d’utilisation des pesticides les plus efficaces et les plus durables. La lecture de près de 200 articles sur les modèles d’évolution de la résistance nous a fait percevoir une hiérarchie des stratégies de combinaisons de ces molécules. En effet, dans les modèles théoriques d’évolution de la résistance à plus d’un pesticide, la stratégie de pyramidage (ou mélange ou «combination») est la plus durable, suivie par la rotation (pesticides alternés dans le temps de façon régulière, «periodic application») ou la mosaïque (deux pesticides alternés dans l’espace de façon régulière ) puis par l’alternance (remplacement d’un pesticide par un autre après évolution de la résistance, «responsive alternation»).
Nous avons ensuite cherché si, dans les études expérimentales, cette hiérarchie était conservée. C’est effectivement le cas. Cette analyse et synthèse nous a conduit à écrire un article de revue dans Trends in Ecology & Evolution, et à proposer l’idée selon laquelle la maximisation du « Degré d’Hétérogénéité des Traitements » (DTH) entraine une durabilité maximale. Le DTH est défini comme la probabilité qu’un groupe de gènes de sensibilité à des pesticides soit confronté à plus d’un pesticide pendant une durée donnée. Dans ce contexte, le mélange (ou pyramidage) induit un «contrôle intra-générationnel multiple» («intra-generational double killing») qui permet d’éviter au mieux l’évolution de la résistance. Dans ces conditions, même si un allèle de résistance apparaît par mutation au premier gène, l’autre gène de sensibilité est affecté par le second pesticide et l’individu, bien que résistant à l’un des pesticides, meurt sous l’effet du second pesticide.
Publications : Consortium REX. 2013 Trends in Ecology & Evolution28: 110-118 et Consortium REX. MS soumis à The New Phytologist.
Coût de la résistance aux insecticides
En 2013, j’ai été contacté par Gang Wu, un chinois travaillant sur la résistance aux insecticides. Agé de 57 ans, spécialisé depuis toujours en entomologie appliquée, ce chercheur m’indiquait que son anglais et ses compétences en écologie évolutive étaient trop limitées pour réussir à valoriser ses données dans des journaux internationaux à comité de lecture. L’un de ses MS venait de se faire rejeter par Molecular Ecology et il avait décidé de se tourner vers des chercheurs ayant déjà publié sur ce sujet pour l’aider à réviser ce MS. J’ai hésité à répondre positivement à sa demande, étant à la fois pris par d’autres activités et sachant ce que ce genre d’exercice peut avoir de délicat. Je lui ai proposé de m’envoyer son MS, les réponses des référés et son jeu de données pour avoir une idée de l’ampleur du travail à réaliser avant de m’engager à ses côtés. Les référés avaient rejeté le papier pour des raisons de forme et de fond, mais ils avaient noté, à juste titre, l’importance des données sur la résistance de la teigne des crucifères aux insecticides dans les populations Chinoises. Il m’a alors semblé important de mettre ce corpus de données à disposition de la communauté et je me suis pris au jeu d’interagir avec lui. Nous avons ainsi échangé des dizaines de messages pour que je puisse comprendre le détail de toutes ses expériences. Ces échanges m’ont au passage permis de m’assurer – en tout cas d’avoir le sentiment…;-) – que les données étaient bien réelles et non inventées, ni trafiquées. Gang Wu a en effet pris le temps de m’expliquer ce qu’il avait réalisé avec son « armée » d’étudiants et de techniciens. Il ne balayait pas sous le tapis les données qui contredisait telle ou telle hypothèse. Bref, j’ai eu confiance sur le fait que je travaillais avec quelqu’un de fiable et sérieux. Nous avons ainsi pas à pas réanalysé l’ensemble des données et j’ai pu réécrire le papier qui a depuis été publié dans Molecular Ecology.
Cet article porte donc sur la résistance au chlorpyrifos, un insecticide organophosphoré (OP), dans les populations chinoises de la teigne des crucifères, Plutella xylostella. Les résultats font apparaitre que cette résistance est conférée par un allèle de l’ace1 – le gène codant pour l'acétylcholinestérase, l’enzyme cible des OP. Cet allèle se caractérise par deux mutations modifiant la séquence d'acides aminés et donc la sensibilité de l’acétylcholinestérase au chlorpyrifos. La fréquence de cet allèle, dénommé ace1R, a été suivi dans plusieurs souches de laboratoire (par génotypage de plus de 20,000 adultes) pendant plusieurs générations. A chaque génération, le niveau de résistance également été mesuré (via des essais biologiques sur plus de 50,000 individus). Ces données montrent sans ambiguïté que l’allèle ace1R est «coûteux» en l'absence d'insecticide et que ce coût est probablement récessif. Les femelles homozygotes pour cet allèle de résistance pondaient en moyenne 20% de moins d'œufs que leurs homologues de la souche sensible. Enfin, les données montrent clairement que le coût associé à ace1R est thermo dépendant. En effet, la fécondité relative des femelles résistantes par rapport aux femelles sensibles est d’autant plus affectée que la température d’élevage est élevée. De plus, lorsque la température atteint 35 à 40°C, les individus résistants vivent moins longtemps que les individus sensibles – alors que les deux types d’individus ont une longévité similaire à 25°C.
La collaboration avec Gang Wu se poursuit avec la ré-écriture d’un second article toujours sur le coût de la résistance.
Publication : Zhang et al. 2015 Molecular Ecology 24: 1611-1627.
Coûts externes et cachés liés à l’utilisation de pesticides
L’utilisation des pesticides génère des coûts qui ne sont pas payés par les agriculteurs, mais par la société. Ces externalités comprennent notamment les coûts liés aux recherches ou aux réglementations publiques liées à l’usage des pesticides, aux dégradations environnementales, à l’impact chronique et aigu des pesticides sur la santé humaine, et aux comportements d’évitements des individus en ce qui concerne par exemple leur alimentation. De manière surprenante, il n’y a pas de synthèse sur l’estimation de ces coûts. Les quelques études qui existent ne considèrent qu’une partie des externalités. Pour autant, elles montrent que ces externalités atteignent un pourcentage significatif du bénéfice économique que l’on tire par ailleurs des pesticides. De leur côté, les politiques publiques liées à l’usage des pesticides reposent sur des arguments économiques et sociaux : quelle baisse d’utilisation des pesticides est compatible avec une production et un revenu agricoles satisfaisants? Il est de ce point de vu remarquable que le plan Ecophyto 2018 ne considère que les bénéfices tirés de l’utilisation des pesticides et non les coûts associés : les résultats des divers scénarios considérés sont comparés aux bénéfices tirés de l’utilisation des pesticides en agriculture conventionnelle (la quantité de production agricole). La conclusion principale à laquelle les groupes de travail Ecophyto 2018 sont parvenus (la diminution de 50% de l’utilisation des pesticides chimiques d’ici à 2018, aujourd’hui reportée à 2025 dans Ecophyto II, est possible sans baisse notable de la production) est obtenue sans considérer les externalités des pesticides.
Dans ce contexte et pour alimenter le débat autour de ces enjeux, il nous a semblé important, avec Thomas Guillemaud, de réaliser une synthèse bibliographique la plus exhaustive possible sur les externalités engendrées par l’usage des pesticides. Cette synthèse repose sur des sources primaires qui ont été sélectionnées après recherche systématique sur Google Scholar et le Web of Science et en recherchant les références citées par les sources ainsi obtenues. Les documents identifiés sont de type varié (articles dans des revues avec ou sans comité de lecture, livres, chapitres de livre, thèses, rapports, compte rendus de communications orales) et de qualité très variable. Les auteurs de ces sources primaires utilisent plusieurs grandes familles de méthodes d’évaluation des coûts associés à l’utilisation des pesticides : estimation directe liée à la valeur marchande des biens, valeur non marchande de certains biens obtenue par la «revealed willingness to pay» ou par la «stated willingness to pay», autrement appelée méthode d’évaluation contingente. Nous avons choisi de ne pas retenir les études utilisant la méthode d’évaluation contingente. En effet, cette méthode, basée sur les déclarations de préférence des individus dans des situations de marchés virtuels, est extrêmement sensible à la façon dont les informations sur les marchés sont présentées et à la façon dont les questions sont posées aux individus. Au total nous avons retenu 61 sources primaires utilisant 30 jeux de données indépendants publiés entre 1980 et 2014.
Ces documents nous ont permis de définir 4 catégories de coûts : coûts de réglementation, coûts de santé humaine, coûts environnementaux et coûts de défense. Ces coûts sont soit internes au marché mais cachés aux utilisateurs (les coûts cachés), soit externes (les externalités).
Notre synthèse suggère que la plupart de ces coûts (cachés et externes) ne sont pas inclus dans les estimations publiées et que, lorsqu’ils le sont, ils sont très largement sous estimés. Malgré ces sous-estimations, les coûts cachés et externes peuvent atteindre des sommes très importantes, par exemple 14 milliards de dollars (US 2013) en 1992 aux Etats-Unis. Un travail de réévaluation rétrospective de ces coûts qui inclue l’ensemble des coûts que nous avons définis plus haut atteint la somme de 40 milliards de dollars (US 2013) par an au début des années 1990 aux Etats-Unis. Nous avons également réévalué le ratio coût/bénéfice de l’utilisation des pesticides dans différents pays et à différentes époques. Ces réévaluations montrent que le coût a été plus important que les bénéfices dans de nombreuses situations, par exemple aux Etats-Unis au début des années 1990. Nos analyses suggèrent également que le facteur clé à prendre en compte est le coût de la santé humaine et particulièrement les coûts liés aux décès engendrés par les maladies chroniques associées à l’exposition aux pesticides. La prise en compte de ces coûts conduit bien souvent à des situations dans lesquelles le ratio coût/bénéfice est supérieur à 1, autrement dit un coût d’ensemble supérieur aux bénéfices.
Publication : Bourguet D. & Guillemaud T. Sustainable Agriculture Reviews. Sous presse.